mardi 6 novembre 2018

Le banc

  Devant le ruisseau asséché , le vieillard était assis sur un banc.
Son regard se portait sur la pente , a sa droite , où les sécheresses successives des dernières années avaient eu raison des buis et des chênes : c'était donc maintenant une pente caillouteuse piquée de touffes de pèbre d'aï .
  Le ruisseau qui, un peu plus bas, avait longtemps entretenu une source grâce aux pluie du printemps , était d'une blancheur de squelette .
  Ses trois chiens qui ne comprenaient pas l'intérêt qu'il trouvait a rester là s'étaient éloignés a la recherche de sangliers ou de chevreuils .Les sangliers , c'est bientôt tout ce qu'il resterait de vivant sur ce terrain : éventrant la terre ,saccageant les prunelliers et les pommiers sauvages , retournant le sol au pied des pins ...

  Le vieillard n'avait pas bougé et son regard balayait lentement tout autour de lui : qu'attendait-il ?
Les chiens se mirent a couiner a leur façon hystérique dès qu'ils avaient trouvé une piste et les craquements dans les buissons s'éloignèrent .
  Ce petit ruisseau démarrait sa course seulement 400 mètres plus haut , il ne coulait guère qu'après plusieurs jours de pluie mais il pouvait aussi  avoir des crues tout a fait disproportionnées et charrier des galets qui dévalaient alors la pente ...
  Au loin les chiens aboyaient et il ne tentait pas de les rappeler .Il était dans une sorte d'hébétude quand le regard se trouble et que la Nature tout autour pèse de tout son poids et prend possession de l'imprudent qui a arrêté son pas ...

  A le regarder , silhouette immobile ,légèrement penchée en avant , on se demandait ce qu'il attend ?
  Peut-être l'orage qui menace après une journée étouffante ? Et justement le ciel s'assombrit , la lumière devient froide et métallique , un vent se lève qui secoue et courbe les arbres autour de lui ...
Au loin on entend toujours les chiens qui suivent leur piste .
Le vieillard n'a toujours pas bougé , tout au plus un léger balancement d'avant en arrière , tandis que les premières gouttes tombent ...
Grosses gouttes rafraîchissantes après cette journée torride !

   La pluie maintenant s'accentue , ponctuée de quelques grêlons gros comme des billes tandis que la noirceur envahit le jour et que des bourrasques secouent le terrain .
 " Qu'attend-tu vieillard pour aller te mettre a l'abri ? ce n'est plus de ton age de te laisser tremper au risque d'attraper du mal ? Qu'est-ce qui te pousse a rester là tandis que la pluie balaye en rafales ton visage ? "

  Le ruisseau est en train de naître : un mince filet passe devant le banc provenant de la moraine du haut du terrain , souvenir des temps anciens .
 La pluie augmente , elle ruisselle sur le visage et le corps du vieil homme ; elle semble lui apparaître comme une bénédiction , la survie de cette terre , de ces arbres mourant sur le terrain ...

  Et puis brusquement , un déluge s'abat : c'est une malédiction maintenant qui arrache la terre, fait dévaler les cailloux qui roulent dans le ruisseau avec des branches cassées et même un cadavre d'oiseau , un geai qui n'a pas su se mettre a l'abri ; tout autour le terrain ruisselle ...

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